Brano: [...] le grand honneur de me demander cette préface. Ces anciennes « causeries du dimanche », j’ai souvent dit à des amis quand ils les eurent lues dans des revues, qu’à mon avis elles étaient vraiment les « Causeries du Lundi » de la peinture. EtANTOLOGIA DI CRITICI
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.e sais bien tout ce qu’une telle appellation renferme d’éloge. 7e crois pourtant que je faisais un peu tort à Jacques Bianche. Le défaut de Jacques Bianche critique, comme de SainteBeuve, c’est de refaire l’inverse du trajet qu’accomplit Partiste pour se réaliser, c’est d’expliquer le Fantin ou le Manet véritables, celui que Fon ne trouve que dans leur oeuvre, à l’aide de Fhomme périssable, pareil à ses contemporains, pétri de défauts, auquel une àme originale était enchainée, et contre lequel elle protestait, dont elle essayait de se séparer, de se délivrer par le travail. C’est notre stupéfaction quand nous rencontrons dans le monde un grand homme que nous ne connaissons que par ses oeuvres, d’avoir à superposer, à faire coincider ceci et cela, à faire entrer l’oeuvre immen[...]
[...]rire les polygones les plus compliqués dans un cercle ou trouver un mot en losange est un exercice d’une facilité enfantine auprès de celui qui consiste à réaliser, comme diraient les Anglais, que le monsieur à coté de qui on déjeune est Fauteur de Mon frère Yves ou de la Vie des Abeilles. Or, c’est cet hommelà, celui qui n’est que le compagnon de chaìnes de Partiste, que cherche (du moins en partie) à nous montrer Jacques Bianche. Ainsi faisait SainteBeuve, et le résultat, c’est que quelqu’un qui, ignorant de la littérature du xixe siècle, essayerait de l’étudier dans les Causeries du Lundiy apprendrait qu’il y eut alors en France des écrivains bien remarquables, tels que M. RoyerCollard, M. le comte Molé, M. de Tocqueville, Mme Sand, Béranger, Mérimée, d’autres . encore; qu’à la vérité SainteBeuve a [personellement connu certains hommes d’esprit qui eurent leur agrément, leur utilité passagère, mais qu’il est fou de vouloir transformer aujourd’hui en grands écrivains. Par exemple Beyle, qui avait pris, on ne sait trop pourquoi, le pseudonyme de Stendhal, lan^ait des paradoxes piquants et où il y avait bien souvent de la justesse. Mais nous faire croire que c’est un romancier! Passe pour ses nouvelles ! Mais le Rouge et le JVoir et autres cuvrages pénibles à lire sont d’un homme peu doué. Vous eussiez étonné Beyle luimème en parlant sérieusement de cela comme de chefsd’oeuvre. Encore pl[...]
[...]endhal, lan^ait des paradoxes piquants et où il y avait bien souvent de la justesse. Mais nous faire croire que c’est un romancier! Passe pour ses nouvelles ! Mais le Rouge et le JVoir et autres cuvrages pénibles à lire sont d’un homme peu doué. Vous eussiez étonné Beyle luimème en parlant sérieusement de cela comme de chefsd’oeuvre. Encore plus eussiezvous surpris Jacquemont, Mérimée, le comte Daru, tous ces hommes d’un jugement si sùr chez qui SainteBeuve rencontrait l’aimable Beyle et de Popinion desquels, protestant contre l’absurde idolatrie du jour, il peut se porter garant. Sainte
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ANTOLOGIA DI CRITICI
Proust Beuve nous dit: la Chartreuse de Parme n’est pas l’oeuvre d’un romancier. Vous pouvez l’en croire, il a un avantage sur nous, il dìnait avec l’auteur, lequel d’ailleurs, homme de bonne compagnie s’il en fut, eùt été le premier à vous rire au nez si vous Paviez traité de grand romancier. Encore un gentil gargon, Baudelaire, ayant de beaucoup meilleures manières qu’on n’aurait pu croire. Et pas dénué de talent. Mais tou[...]
[...]. Vous pouvez l’en croire, il a un avantage sur nous, il dìnait avec l’auteur, lequel d’ailleurs, homme de bonne compagnie s’il en fut, eùt été le premier à vous rire au nez si vous Paviez traité de grand romancier. Encore un gentil gargon, Baudelaire, ayant de beaucoup meilleures manières qu’on n’aurait pu croire. Et pas dénué de talent. Mais tout de mème l’idée de se présenter à l’Académie, $a aurait eu l’air d’une mauvaise farce. L’ennui pour SainteBeuve est d’avoir ainsi des relations avec des gens qu’il n’admire pas. Quel brave gar<jon que ce Flaubert ! Mais VEducation sentimentale sera illisible. Et pourtant il y a des traits «bien fìnement touchés » dans Madame Bovary. C’est au fond, quoi qu’on en pense, supérieur à Feydeau.
Ce point de vue est celui auquel Jacques Bianche se place souvent (pas toujours) dans ce volume. Qjuelle stupéfaction pour les admirateurs de Manet d’apprendre que ce révolutionnaire était « ambitieux de décorations et de medailles », voulait prouver à ma grande amie Mme Madeleine Lemaire qu’il pouvait faire concur[...]
[...]nt intéressant), ce point de vuelà c’est tout de mème celui de la dame qui dirait: « Mais je peux très bien vous parler de Jacques Bianche; il dìnait tous les mardis chez moi. Je vous assure que personne ne songeait à le prendre au sérieux comme peintre; et luimème, sa seule ambition, c’était d’ètre un homme du monde très recherché ».
D’un certain Jacques Bianche peutètre, mais pas du vrai. Ainsi le point de vue auquel se placent trop souvent SainteBeuve et quelquefois Jacques Bianche n’est pas le véritable point de vue de l’Art. Mais c’est celui de l’Histoire. Et là est son grand intérèt. Seulement tandis que ce point de vuelà SainteBeuve s’y tient pour tout de bon, ce qui fait qu’il classe souvent les écrivains de son époque à peu près dans l’ordre où aurait pu le faire Mme de Boigne ou la Duchesse de Broglie, Jacques Bianche ne l’adopte qu’un instant, en se jouant, pour multiplier les contrastes, éclairer le tableau, faire revivre la scélge. Mais bien au contraire les peintres, comme les écrivains, qu’il a aimés, c’étaient ceux qui devaient ètre grands un jour, un jour que lui vivait par anticipation, de sorte que ses jugements resteront vrais et que ce livreANTOLOGIA DI CRITICI
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écrit sur les peintres par un peintr[...]
[...]». Et sans doute le retour en arrière que nous fait faire Bianche est plus que piquant, inépuisablement instructif. Il mentre l’absurdité de certaines formules qui ont fait admirer les grands peintres pour les qualités contraires de celles qu’ils avaient. (Opposez le Manet de Bianche à l’irréel Manet de Zola «fenètre ouverte sur la nature»).
Tout de méme ce point de vue de l’histoire me choque en ce qu’il fait attribuer par Bianche (comme par SainteBeuve) trop d’importance à l’époque, aux modèles. Sansdoute il est d’un bien agréable fétichisme de croire q’u bonne partie du Beau est réalisée hors de nous et que n’aurons pas à la créer. Je ne puis aborder ici ces ques de doctrine. Mais je ne suis pas si matérialiste que de c que les modes du temps de Fantin rendaient plus facile faire de beaux portraits, que le Paris de Manet était pictural que le nótre, que la féerique beauté de Londre une moitié du génie de Whistler’. N o t a . Ci è parso bene riprodurre questo br[...]